La représentation mentale des déplacements

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Y. Pigenet

Figure

Objet

La lecture des textes décrivant des déplacements dans un environnement spatial connu implique l'utilisation conjointe de deux bases d'information: une représentation spatiale de l'environnement et une représentation des actions décrites par le texte. Les théories des modèles de situation (van Dijk &Kintsch, 1983) et des modèles mentaux (Johnson-Laird, 1983) postulent l'élaboration, durant la lecture, de représentations stockées en mémoire de travail, qui intègrent connaissances antérieures et informations apportées par le texte, et dont les relations entre éléments ( tokens) sont analogues à celles qu'entretiennent les objets du monde réel. L'intérêt fonctionnel de ces représentations est de rendre explicites, de par leur structure, les références anaphoriques et déictiques, ainsi que les inférences liées à la situation.

Description

Les limites de la mémoire de travail ne permettant l'intégration que d'un nombre restreint de tokens, la compréhension d'un texte nécessite une mise à jour continue du modèle de situation en cours de lecture. Ainsi, certains tokens passent au premier plan ou bien disparaissent. Ce processus d'attention différentielle, fonctionnellement similaire à celui décrit par Kosslyn et Koenig (1992) dans leur modèle computationnel de l'imagerie mentale, est comparable au processus de focalisation observé en perception visuelle. Glenberg, Meyer et Lindem (1987) ont montré que cette focalisation était centrée sur le protagoniste de la narration. Toutefois, une étude dynamique fine de ce processus nécessite un paradigme expérimental en temps réel. Le paradigme de focalisation spatiale défini par Morrow et ses collaborateurs (Morrow, Greenspan, &Bower, 1987 ; Morrow, Bower, &Greenspan, 1989) a d'emblée permis la confirmation de la focalisation sur un point <<ici/maintenant>> centré sur les buts du protagoniste. De plus, les nombreuses réplications du paradigme, ainsi que sa souplesse, en font un outil d'exploration idéal des déterminants qui gouvernent la mise à jour des modèles de situation (Millis &Cohen, 1994 ; Haengi, Kintsch, &Gernsbacher, 1995).

Notre but est d'adapter cet outil à la langue française. Pour cela, nous devions tout d'abord répliquer les résultats obtenus avec un matériel en langue anglaise afin de <<calibrer>> notre protocole. Nous avons pour cela traduit le matériel de Rinck et Bower (1995). Comme dans toute les expériences inspirées de ce paradigme, les sujets doivent d'abord apprendre un environnement spatial présenté ici sous forme de carte (Figure 1). Lorsque les sujets ont mémorisé cet environnement, ils doivent lire sur un écran d'ordinateur une série de narrations, présentées phrase par phrase, décrivant les actions d'un protagoniste dans cet environnement. Certaines phrases de ces textes décrivant les déplacement d'une pièce à l'autre sont suivies de phrases incluant une référence anaphorique à un objet de l'environnement. En faisant varier la distance entre la position du protagoniste et celle de l'objet évoqué (Figure 2), on peut, en enregistrant le temps de lecture des phrases anaphoriques, déterminer les niveaux d'activation des différents éléments de l'environnement spatial. Nous avons également étudié le temps de lecture des phrases suivant ces références anaphoriques (retour du focus).

Résultats et perspectives

Nos premiers résultats nous ont permis de retrouver un effet de distance: les sujets lisent plus rapidement les phrases qui se réfèrent à un objet situé dans la même pièce que le protagoniste (Figure 3). Cependant, nous avons également observé un effet de récence qui était absent dans les expériences précédentes: les pièces non précédemment mentionnées dans la narration mais spatialement proches suscitent des durées de lecture plus longues que des pièces récemment mentionnées mais spatialement plus éloignées. De futures expériences tenteront de déterminer s'il s'agit d'un artefact ou d'une caractéristique de la langue française. Hormis cet effet de mention, nous retrouvons bien le gradient d'accessibilité lié à la distance observé dans ce genre d'expérience.

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