Stabilité des écoulements interdisques exactement contra-rotatifs à grand rapport d'aspect

L. Martin Witkowski, I. Delbende, P. Le Quéré

en collaboration avec J.S. Walker du Dept. of Mech. and Indus. Eng.,
University of Illinois at Urbana-Champaign, USA.

 

Objet
L'étude de la stabilité d'écoulements interdisques exactement contra-rotatifs pour un très grand rapport d'aspect$\Gamma$ (= rayon des disques/demi-écart entre les disques) a fait l'objet de peu de publications tant d'un point de vue expérimental que numérique. À notre connaissance, seuls Pécheux et al. [1] ont ouvert cette voie en étudiant numériquement une gamme de rapport d'aspect $\Gamma$ de 20 à 80 et expérimentalement $\Gamma=30$ . Parmi les obstacles qui ont freiné les avancées sur ce sujet, nous pouvons mentionner la difficulté d'obtenir sur le plan expérimental deux disques parfaitement parallèles afin de ne pas forcer les instabilités et sur le plan numérique de pouvoir mailler un domaine ayant deux échelles de longueur très différentes. Cette géométrie est propice à une étude semi-analytique en utilisant les solutions de l'écoulement de base obtenues pour des disques de rayon infini (solutions autosimilaires). Szeto [2] a mené des travaux dans cette direction mais a imposé au champ de perturbation de suivre les conditions de similitude, ce qui est une contrainte trop forte et conduit à trouver des valeurs de Reynolds critique bien au-delà de celles trouvées expérimentalement. Nous tentons de généraliser l'étude [1] pour $\Gamma$ tendant vers l'infini tout en levant la contrainte de similitude sur les perturbations. L'approche est numérique et semi analytique.

Description
Pour adimensionnaliser le problème nous avons choisi$H$ , le demi-écart entre les disques comme longueur caractéristique et $\omega H$ comme vitesse caractéristique où $\pm \omega$ est la vitesse angulaire respectivement des disques du haut et du bas. Nous pouvons ainsi construire le nombre de Reynolds $Re = \frac{\omega H^2}{\nu}$ où $\nu$ est la viscosité cinématique du fluide. Nous avons choisi comme condition limite en $r=\Gamma$ d'imposer une surface libre. La géométrie est représentée sur la figure 1a.
 
 
(a)
(b)

 Figure 1. (a) Représentation schématique de la configuration (variables dimensionnelles). (b) Deux situations étudiées: le domaine complet et le domaine "fenêtre".

En faisant l'hypothèse d'axisymétrie, nous avons résolu les équations de Navier-Stokes avec une formulation vorticité/fonction de courant. Les équations sont discrétisées par un schéma aux différences finies d'ordre 2. L'évolution temporelle est basée sur un schéma de type ADI.
 

Résultats et perspectives
Lorsque le nombre de Reynolds dépasse une valeur critique$Re_c$ , l'écoulement se déstabilise par une bifurcation de type Hopf. Pour visualiser les perturbations, nous présentons les isovaleurs de la fonction de courant $\psi$ auxquelles on a soustrait l'écoulement moyenné dans le temps. L'instabilité correspond à des tores qui brisent la symétrie de l'écoulement moyen par rapport au plan $z=0$ . Ces tores concentriques se déplacent de l'axe vers la périphérie (figure 2a). Bien qu'ils ne soient pas visibles sur la figure 2a, il est possible de mettre en évidence ces tores près de l'axe en regardant les valeurs de très faibles amplitudes.
 
 
 
(a)
(b)

  Figure 2. Visualisation sur une période de la perturbation de la fonction de courant pour $Re=5.55$ et $\Gamma=30$ dans (a) le domaine complet et (b) le domaine "fenêtre" avec $\Delta r=5$. Les nombres de Reynolds critique sont respectivement de$Re_c= 5.2$ et $Re_c= 4.4$ .

Pour mieux comprendre les mécanismes de l'instabilité, nous avons voulu vérifier si la présence de l'axe ou bien de la région de bord étaient indispensables. Nous avons donc fait l'expérience numérique suivante. Nous avons imposé en $r = \Gamma - \Delta r$ et $r= \Gamma + \Delta r$ les conditions de similitude pour l'écoulement de base et une perturbation nulle (figure 1b). Nous trouvons une valeur de Reynolds critique proche de celle trouvée pour le domaine complet et une instabilité de même nature (figure 2b).

Cette constatation nous a permis de faire tendre$\Gamma$ vers l'infini pour un faible coût de calcul. Nous avons ainsi trouvé la loi d'échelle  $Re_c \sim 20 \Gamma^{-1/2}$. Ce résultat peut surprendre et mérite quelques explications. Nous avons basé le nombre de Reynolds sur $H$, appelons le ici ${Re}_{H}$ , ce choix vient de l'écoulement de base qui est donné par la solution auto-similaire pour laquelle $H$ est la seule longueur caractéristique. En revanche, pour caractériser l'instabilité, il est naturel d'introduire la vitesse de cisaillement $v = \omega R$ , où $R = \Gamma H$ est le rayon en variable dimensionnelle, et de construire le nombre de Reynolds de la manière suivante :  ${Re}_{RH} = \frac{v H}{\nu} = \frac{\omega {R} H}{\nu}$ . Si ${Re}_{RH}$ était effectivement le Reynolds qui caractérise l'instabilité, nous aurions trouvé la loi d'échelle suivante  ${Re}_{H} \propto \Gamma^{-1} $ . Le comportement en $\Gamma^{-1/2}$ n'est pas encore très bien compris, nous pouvons cependant admettre cette loi d'échelle. Le problème ne dépend alors que du seul paramètre $\Gamma$ . Nous pouvons simplifier les équations quand $\Gamma$ tend vers l'infini avec  $\widehat{Re} = \frac{ \omega R^{1/2} H^{3/2}}{\nu}$ maintenu constant. Pour le terme au premier ordre du champ de vitesse, les équations de Navier-Stokes se réduisent aux équations en géométrie cartésienne en conservant le terme d'accélération centrifuge. L'écoulement est ainsi ramené à un écoulement parallèle pour lequel l'étude modale en mode de Fourier suivant $r$ puis la caractérisation de la transition instable convectif/instable absolu est possible. Ce sera l'objet de nos prochains travaux. Enfin, dans un souci de complétude, nous vérifierons si l'hypothèse d'axisymétrie est valable quand $\Gamma$ tend vers l'infini et si tel est le cas, nous essayerons de trouver la limite inférieure de $\Gamma$ à partir de laquelle l'instabilité devient tridimensionnelle rejoignant ainsi les travaux de C. Nore et al. [3].
 

Références
[1] J. Pécheux, P. Le Quéré, O. Daube, E. Foucault, Axisymmetric instabilities in high aspect ratio cavity with counter-rotating disks, communication personnelle.
[2] R.K.H. Szeto, The flow between rotating coaxial disks, Ph.D. Thesis, California Institute of Technology (1978).
[3] C. Nore, M. Tartar, O. Daube, L.S. Tuckerman, soumis à J. Fluid Mech. (2003).