Étude des seuils d'instabilité de l'écoulement de von Kármán entre disques contra-rotatifs

C. Nore, M. Tartar, O. Daube and L.S. Tuckerman

Objet
L'écoulement se développant au-dessus d'un disque tournant ou entre deux disques en rotation dans une cavité cylindrique, ou écoulement de von Kármán [1], a été d'abord étudié par [2] et [3] et se produit souvent dans des tourbillons atmosphériques et dans des turbomachines. Parmi ces écoulements, celui engendré par deux disques en contra-rotation avec une paroi latérale immobile a récemment ouvert un nouveau champ d'instabilités. Nous avons étudié dans [4] le cas en exacte contra-rotation à un rapport fixé entre la hauteur du cylindre et son rayon $\Gamma \equiv H/R =2$ et montré que, quand la vitesse de rotation commune des deux disques $\Omega$ croît, la couche de cisaillement azimutale équatoriale de l'état de base axisymétrique subit une instabilité de Kelvin-Helmholtz. Cette instabilité donne naissance à des solutions stationnaires comportant un ou deux tourbillons radiaux ainsi qu'à une dynamique riche caractérisée par des ondes tournantes, des ondes tournantes modulées et des cycles hétéroclines. Nous nous intéressons ici à l'étude des seuils d'instabilité en nombre de Reynolds défini par $Re \equiv \Omega R^2/\nu$ (avec $\nu$ la viscosité cinématique) en fonction du rapport d'aspect $\Gamma $ et en maintenant les deux disques en contra-rotation.

Description
Nous intégrons les équations de Navier-Stokes pour un champ de vitesses en fluctuation autour d'un état de base axisymétrique à l'aide d'une méthode en différences finies sur maillage décalé en coordonnées cylindriques, $r,z,\theta$ , où $\theta$ est traité dans l'espace de Fourier. L'incompressibilité est imposée par une technique de matrice d'influence pour l'état de base (à la précision machine) et par une méthode de projection pour le code linéaire en fluctuation. Le système est invariant suivant le groupe des rotations autour de l'axe du cylindre et suivant la symétrie supplémentaire par rotation de $\pi$ autour de tout axe horizontal appelée $R_{\pi}$ à cause de l'exacte contra-rotation.

Résultats et perspectives
Nous avons étudié la stabilité de l'écoulement produit par des disques en exacte contra-rotation en fonction du rapport d'aspect dans l'intervalle $0.5 \le \Gamma \le 3$ . Pour chaque $\Gamma $ , nous avons calculé le nombre de Reynolds marginal $Re_m(\Gamma )$ pour des valeurs entières du nombre d'onde azimutal $0 \le m \le 5$ (figure 1). Tous les modes sont stationnaires au seuil, i.e. les valeurs propres sont nulles au seuil sauf pour les branches notées $m=0$ (H$_1$ ) et $m=0$ (H$_2$ ).

Figure 1: Seuils $Re_m(\Gamma )$ pour les modes azimutaux $m=0$ à 5 en fonction du rapport d'aspect $\Gamma $ . Les modes $m=1$ à 5 sont stationnaires alors que le mode axisymétrique est stationnaire pour $m=0$ (P$_1$ ) et (P$_2$ ) et oscillant pour $m=0$ (H$_1$ ) et (H$_2$ ).
\begin{figure}\begin{center}
\epsfig{file=seuils2bis.ps,width=0.8\textwidth,angle=0}\end{center}\end{figure}

Le nombre de Reynolds critique $Re_C(\Gamma )$ correspond au minimum sur $m$ de $Re_m(\Gamma )$ (figure 2a). Il atteint sa valeur minimale de 287 pour $\Gamma=1.2$ et $m=2$ . Le mode azimutal $m_C$ correspondant à $Re_C(\Gamma )$ est le mode le plus instable (figure 2b). Ce dernier décroît avec $\Gamma $ donc croît avec $1/\Gamma$ . Cela est confirmé par la figure 2b, où la droite $m=2.2 R/H=2.2/\Gamma$ est superposée aux modes trouvés. La loi d'échelle est du type $m_C \sim 1 +[2/\Gamma ]$ (avec $[ \cdot ]$ la partie entière d'un réel) ce qui est compatible avec l'hypothèse que l'instabilité est localisée dans la couche de cisaillement équatoriale et occupe une portion constante de la hauteur [4].

Figure 2: (a) Nombre de Reynolds critique $Re_C(\Gamma )$ en fonction de $\Gamma $ réalisé pour différents nombres d'onde : $m=1 \; (\times)$ , $m=2 \; (\ast)$ , $m=3$ (carré), $m=4$ (carré noir). (b) Nombre d'onde critique $m_C$ ($+$ ) en fonction de l'inverse de $\Gamma $ avec la droite $2.2/\Gamma $ superposée (ligne en tiré).
\begin{figure}\centerline{
\epsfig{file=recg_m.ps,%
height=5cm,angle=0,clip=}
\h...
...psfig{file=mcg.ps,%
height=4.8cm,bb=76 65 410 251,angle=0,clip=}
}\end{figure}

Afin d'illustrer les motifs 3D correspondant aux seuils de la figure 1, nous avons choisi quatre cas caractérisés par des modes critiques croissants $m_C=1,\; 2,\; 3,\; 4$ (figure 3). Dans l'intervalle de $\Gamma $ étudié, le mode axisymétrique n'est jamais critique et ses caractéristiques diffèrent fortement de celles des modes non-axisymétriques [5]. Les perspectives peuvent être d'ordre expérimental ou numérique, afin d'étudier l'influence des défauts dans une réalisation qui briserait les symétries du système.

Figure 3: Iso-contours de la vitesse verticale à $z=0$ vus par le dessus pour (a) le vecteur propre $m=1$ pour $\Gamma =3$ et $Re=510$ ; (b) le vecteur propre $m=2$ pour $\Gamma =1.5$ et $Re=320$ ; (c) le vecteur propre $m=3$ pour $\Gamma =0.7$ et $Re=340$ et (d) le vecteur propre $m=4$ pour $\Gamma =0.5$ et $Re=430$ .
\begin{figure}\centerline{
\epsfig{file=pm_vz1.ps,%
width=0.2\textwidth,bb=235 3...
...g{file=pm_vz4.ps,%
width=0.2\textwidth,bb=235 332 372 462,clip=}
}\end{figure}

Références
[1] Zandbergen P. J. & Dijkstra D. 1987, Ann. Rev. Fluid Mech. 19, 465-491.
[2] von Kármán T. 1921, Z. Angew. Math. Mech. 1, 233-252.
[3] Batchelor G.K. 1951, Q. J. Mech. Appl. Math. 4, 29-41.
[4] Nore C., Tuckerman L.S., Daube O. & Xin S. 2003, J. Fluid Mech. 477, 51-88.
[5] Nore C., Tartar M., Daube O. & Tuckerman L.S. 2003, soumis à J. Fluid Mech.