Accès aux formules mathématiques par des personnes non voyantes
A. Podevin, Y. Bellik, en collaboration avec P. Lorenzon*
Objet
La complexité des expressions mathématiques, et notamment leur
caractère bidimensionnel ou arborescent, rend leur accès particulièrement
difficile aux personnes mal ou non voyantes. Le but de ce projet est d'étudier
et de définir des techniques d'interaction adaptées pour un accès
efficace aux mathématiques par un utilisateur non-voyant. Nous entendons
ici par accès, aussi bien la lecture que l'écriture d'expressions
mathématiques bien que dans cette première phase nous ne nous
soyons intéressés qu'à la lecture et la présentation
des formules mathématiques.
Description
Les expressions mathématiques possèdent des caractéristiques
qui les différencient notablement des expressions verbales et les rendent
plus difficilement accessibles. Elles sont bidimensionnelles, précises
et univoques. Ainsi, une erreur d'orthographe dans un texte n'empêchera
pas la compréhension de ce texte. En revanche, une erreur d'un caractère
dans une expression mathématique peut modifier complètement son
sens. De plus, les mathématique exploitent de manière intensive
plusieurs modalités visuelles (formules, graphes, matrices et autres
diagrammes) qui rendent particulièrement difficile pour une personne
non voyante l'accès à ce savoir. Dans le cadre de ce projet, nous
avons cherché à définir une nouvelle méthode de
présentation des formules mathématiques qui soit réellement
adaptée aux non-voyants. Pour cela, nous avons effectué une étude
comparative de diverses structures de représentation des expressions
mathématiques (structure linéaire, arborescente, spatiale...)
ainsi qu'une étude comparative de diverses modalités d'interaction
pour l'accès aux mathématiques (synthèse / reconnaissance
de parole, braille, image en relief, combinaison de plusieurs modalités...).
Ces études nous ont permis de proposer de nouvelles formes de présentations
des formules mathématiques [1] et de les tester à travers une
application interactive exploitant le Concept Keyboard**. L'idée majeure
des nouvelles formes de présentation testées était de conserver
le squelette général des expressions algébriques, ceci
afin de procurer un aperçu global rapide, et d'exploiter la spatialisation
des formules en développant par le biais d'arborescences, les opérateurs
qualifiés de "majeurs" et les termes trop complexes pour apparaître
dans l'aperçu. Vingt-cinq formules tests ont ainsi été
définies et ont permis d'évaluer
les sept paramètres suivants : indicateur de pointeur et substitut, pointeur,
substitution et décomposition, opérandes d'un opérateur
majeur, profondeur du niveau de décomposition, opérateur "/" et
barre de fraction, structure linéaire / spatiale / arborescente. Les
formules test ont été imprimées en relief sur du papier
thermo-gonflable, puis disposées sur le concept keyboard. L'utilisateur
pouvait alors prendre connaissance des formules à travers sa perception
tactile et dans les cas où il rencontrait des caractères mathématiques
inconnus, il avait la possibilité grâce au concept keyboard, de
cliquer sur l'élément inconnu et ainsi de recevoir un message
vocal décrivant l'élement désigné.
Résultats et perspectives
Les tests ont été menés avec six utilisateurs et ont montré
que la présentation selon une structure de substitution arborescente était une
voie prometteuse. Le protocole d'expérimentation qui a été
défini, consistait à demander à l'utilisateur de dicter
à une personne voyante, la formule qu'il était en train de lire
avec ses doigts et à mesurer pour chaque forme de présentation
le temps mis pour "déchiffrer" la formule. Alors que nous voulions au
départ, mesurer le temps d'assimilation des formules en fonction de leur
forme de présentation, nous nous sommes aperçus lors des tests
que certains utilisateurs ne faisaient qu'explorer la formule mais ne se construisaient
pas forcément une image mentale de la structure de cette formule. Il
nous faudra donc dans la prochaine étape définir un nouveau protocole
d'expérimentation qui nous permette réellement de mesurer le degré
d'assimilation de la formule et non pas simplement le temps nécessaire
à son exploration.
* Laboratoire de Mathématiques de l'Université
d'Orsay Paris XI.
** Le Concept Keyboard est une tablette tactile constituée de 256 boutons,
surlaquelle il est possible de poser des feuilles A4 ou A3 imprimées
en relief (voir http://www.penny-gilescp.co.uk/).